Naquit en 1737 d’une famille distinguée de Bretagne.
Sa figure était charmante, sans offrir rien de parfaitement
régulier : elle n’avait que seize ou dix-sept ans lorsque
le marquis de Montesson, lieutenant général des armées
du roi, riche gentilhomme de la province du Maine, mais déjà avancé en âge,
lui fut donné pour époux. Sa fortune s’accrut beaucoup
par la mort de son frère unique, le marquis de la Haie de Riou,
gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne et officier supérieur
de gendarmerie, qui fut tué à la bataille de Mindeu.
Madame de Montesson resta veuve en 1769 ; son excellente réputation,
ses talents, son amabilité et la bonté de son caractère
la firent recherche dans le monde. Collé suppose que ce fût
dès l’année 1766 que le duc d’Orléans,
petit-fils du régent, commença à éprouver
pour elle un vif attachement. Rendue à la liberté de
ses affections, elle opposa encore une longue résistance au
sentiment que ce prince, jusqu’alors fort inconstant, désirait
lui faire partager. Il se détermina, vers la fin de 1772, à lui
offrir sa main ; et le 23 avril 1773 la bénédiction nuptiale
fut donnée dans la chapelle de madame de Montesson, par le curé de
St-Eustache, dont elle était paroissienne. Il y avait été autorisé par
l’archevêque de Paris, sur le consentement du roi (1),
Sa Majesté « voulant que le mariage restât secret,
autant que faire se pourrait », c’est-à-dire aussi
longtemps qu’aucun enfant n’en serait le fruit. A la connaissance
près des circonstances qui ne durent pas être rendues
publiques, on peut dire que ce mariage ne fut ignoré ni à la
cour ni à la ville ; on l’on pensa généralement
que madame de Montesson, devenue l’épouse du premier prince
du sang, sans avoir le titre et le rang de princesse, se trouvait dans
une position intermédiaire fort difficile, puisqu’elle
avait presque également à redouter l’envie et le
ridicule. Elle parvint à désarmer l’une et évita
l’autre par une conduite habile et soutenue.
Douée de
beaucoup de justesse d’esprit, de patience et de raison, elle établit
adroitement des nuances dans son langage et dans ses manières,
suivant ses différents rapports de société. Elle était
respectueuse envers les princes, en conservant ce qu’il fallait
de dignité pour que sa qualité ne fût jamais oubliée.
Elle gardait aussi une juste mesure avec les personnes considérables
qui lui rendaient des soins assidus, et qui, sans qu’elle parût
l’exiger, avaient pour elle les mêmes formes de déférence
qu’elles auraient employées avec les princesses du sang
; elle se montrait enfin affable avec les inférieurs, gracieuse
et obligeante pour tous. Ce fut ainsi qu’elle réunit à une
considération mérité », la bienveillance
presque universelle. Son état dans le monde rappelait celui
de madame de Maintenon à la cour ; mais il faut convenir que
Louis XIV, devenu vieux, était plus difficile à amuser
que le duc d’Orléans : ce prince avait un besoin continuel
de varier ses plaisirs ; et madame de Montesson était ingénieuse
dans le choix des amusements de société qu’elle
lui ménageait chaque jour. Leur mariage fut indiqué longtemps
dans le calendrier romain ; mais comme il n’était pas
ostensiblement avoué en France, Louis XVI, par des lettres patentes
du 26 août 1781, enregistrées deux jours après
au parlement, autorisa madame de Montesson à procéder,
tant dans les tribunaux que dans les actes et contrats volontaires,
sous ses seuls noms de famille. Sa maison présentait une magnificence
sans faste, et cette élégance qui réconcilie tout
le monde avec le luxe. C’était une véritable école
du bon goût et de politesse. Nous avons indiqué que la
fortune personnelle de madame de Montesson était considérable.
Le duc d’Orléans la consultait souvent sur l’emploi
de la partie de ses immenses revenues qu’il désirait consacrer,
soit à l’agrément commun de leur vie intérieure,
soit à des actes de bienfaisance. Elle l’engageait à contribuer
et contribuait elle-même à l’encouragement, au perfectionnement
des sciences, des arts utiles et des arts d’agrément.
Devenue veuve une seconde fois, en 1785, elle fut payée, après
quelques discussions, du douaire qui avait été stipulé par
son contrat de mariage. Une nouvelle contestation s’étant élevée,
Louis XVI signa au mois de juillet 1792 un acte par lequel il reconnaissait
les droits qu’elle avait à ce douaire, comme épouse
du duc d’Orléans. La réserve qu’elle garda
pendant toute la durée de sa vie, où elle compta de véritables
amis sans s’exposer jamais à exciter la moindre inimitié ;
la douceur et l’affabilité qui lui étaient naturelles,
peut-être aussi le souvenir des bienfaits répandus par
elle autrefois dans la classe indigente du peuple : tout concourut à la
sauver des plus grands dangers de la révolution. On n’avait
pas pu oublier entièrement que dans l’hiver excessivement
froid de 1788 à 1789, elle avait fait ôter les arbres
de son orangerie et les plantes qui ornaient les serres de ses jardins,
pour que ces bâtiments devinssent des salles de travail ouvertes
aux pauvres. Ils y recevaient la nourriture et des secours de toute
espèce, en même temps qu’ils y trouvaient un abri
contre les rigueurs de la saison. Plus tard une circonstance assez
remarquable lui attira, de la part de Napoléon, la plus grande
considération. Elle avait autrefois connu madame de Beauharnais,
avec laquelle sa liaison s’était renouée pendant
l’expédition d’Égypte et dans un voyage aux
eaux de Plombières. A son retour le général, parcourant
les papiers de sa femme, distingua plusieurs lettres de madame de Montesson.
Au milieu de toutes les exagérations de sentiment, si fort à la
mode dans le dernier siècle, se trouvaient de sages et utiles
conseils. Il fut surtout frappé de cette phrase : « Vous
ne devez jamais oublier que vous êtes la femme d’un grand
homme » ; et dès lors l’affection du premier consul,
devenu ensuite empereur, fut acquise à la personne qui le jugeait
aussi favorablement ; il fit payer son douaire, qui fut assis sur les
canaux d’Orléans et du Loing. Madame de Montesson avait
mieux aimé risquer d’en perdre la valeur entière,
que de le faire liquider comme ses autres créances sur l’État.
Les égards que lui témoignait Napoléon la mirent
en mesure de satisfaire des sentiments bien chers à son cœur,
en obtenant du chef du gouvernement une augmentation considérable
aux pensions annuelles que touchaient en Espagne un de nos princes
du sang et deux illustres princesses, dépouillées et
exilées avec lui. Elle mourut à Paris le 6 février
1806 (2). Son corps fut transporté dans une chapelle de l’église
de St-Port, qui est la paroisse du château de Ste-Assise, près
de Melun, où le duc d’Orléans était mort.
Ce prince avait ordonné par son testament que son cœur
et ses entrailles seraient apportés dans cette église, « espérant,
dit-il, que la dame du lieu y serait inhumée à ses côtés,
et voulant qu’ils fussent aussi unis après leur mort,
qu’ils l’avaient été pendant leur vie. » Les
obsèques de madame de Montesson furent célébrées
avec beaucoup de pompe. Le corps resta dans une chapelle ardente à l’église
de St-Roch pendant trois jours, qui furent nécessaires pour
les préparatifs de la translation.
La période de sa vie à Seine-Port est à lire
dans le livre de Dominique Paladilhe
Madame de Montesson, remarquable par son caractère, par son
esprit et par la singularité de sa situation dans le grand monde,
se distinguait encore par des talents d’agréments peu
communs. Élève de Van Spaedonk, elle a laissé plusieurs
tableaux de fleurs dignes de l’école de ce grand maître.
Elle jouait bien de la harpe, chantait de manière à faire
le plus grand plaisir et passait pour une excellente actrice de société.
Tels étaient enfin l’assiduité de son application,
son ordre et sa méthode dans la distribution de son temps, qu’elle
a pu encore recevoir avec suite des leçons de physique et de
chimie de MM Berthollet et Laplace, admis jusqu’à sa mort
dans son intimité, et composer, entre autres ouvrages, seize
pièces de théâtre, etc. etc. On assure qu’il
reste d’elle deux tragédies manuscrites, Elfrède
et la Prise de Grenade. Et deux comédies. Au surplus, quoique
aimant beaucoup les belles-lettres et les cultivant avec succès,
elle n’avait point la manie du bel esprit et ne montrait aucune
des prétentions ambitieuses qui sont trop communes parmi les
auteurs. Grimm revient souvent, dans sa Correspondance, sur les spectacles
de madame de Montesson. On y représentait assez habituellement
des pièces composées par elle. En 1777, elle donna deux
drames : Robert Sciarts, en cinq actes et en prose, et l’Heureux échange.
Le sujet du premier était un trait de bienfaisance de Montesquieu
; le personnage principal fut rempli par le duc d’Orléans.
Elle mit encore à la scène, en 1778, la Femme sincère
et l’Amant romanesque. Voltaire désira se trouver à une
de ces représentations, pendant laquelle il battit continuellement
des mains. Le prince, époux de madame de Montesson, qui était éminemment
bon et affable, se réunit à elle pour accabler de compliments
et même de caresses le plus célèbre et le plus
adulé des écrivains du 18ème siècle. En
la voyant venir vers sa loge, il se mit à genoux, et ce fut
ainsi qu’il reçut cette espèce d’hommage.
Dans l’hiver de 1781, les spectacles dont il s’agit ne
furent pas moins suivis et moins agréablement variés
que les années précédentes. Ils étaient
remarquables tout à la fois par le rang des acteurs, par l’éclat
de l’assemblée, par le choix des pièces et par
l’exécution théâtrale. On y vit paraître,
entre autres, deux pièces de la même dame, qui étaient
ses premiers essais en vers : l’Homme impossible et la Fausse
vertu. Madame de Montesson donna encore chez elle Marianne, sujet tiré du
roman de Marivaux. Elle eut à se reprocher d’avoir cédé aux
instances de Molé et aux vœux des comédiens, en
laissant lire au Théâtre-Français une de ses pièces,
la Comtesse de Chazelles, en cinq actes et en vers. Cette comédie,
présentée sans nom d’auteur et jouée le
6 mai 1785, ne fut pas bien reçue du public. On prononça
assez généralement qu’elle n’était
pas bonne, et quelques personnes l’attaquèrent comme immorale.
Alors madame de Montesson retira sa pièce en déclarant
qu’elle était son ouvrage et la fit imprimer à un
petit nombre d’exemplaires, pour que ses amis pussent mieux la
juger. Les Liaisons dangereuses et Clarisse en avaient fourni le canevas.
Ce fut sous le titre d’œuvres anonymes qu’elle livra à l’impression
le recueil de ses vers, de ses compositions en prose et de son théâtre.
Il n’en fut tiré qu’un très-petit nombre
d’exemplaires pour être distribués dans le cercle
le plus intime de l’auteur, et aucun ne fut alors vendu. Cette
collection, devenue très-rare, est rangée maintenant
parmi les livres précieux : elle a même été payée
fort cher par des amateurs. Il y a un volume de Mélanges désigné comme
tome 1er et qui n’est suivi d’aucun autre. On y trouve
d’abord un roman en prose : Pauline. Tout le reste est en vers
: Rosamonde, poème en cinq chants ; un Conte allégorique
; les Dix-huit portes, anecdote tirée des Fabliaux ; enfin,
une Lettre de St-Preux à milord Edouard. Ces mélanges, à l’exception
du roman en prose, ont été imprimés (1782) en
1 volume in-18, semblable à la collection d’Artois. Les
sept autres volumes in-8ème contiennent quatorze pièces,
drames, comédies et deux tragédies : l’une, intitulée
la Comtesse de Bar, a de l’affinité avec Phèdre
: Madame de Montesson, qui en avait puisé le fond dans les Anecdotes
de la cour de Bourgogne, y fait souvent fausse route, en s’efforçant
d’éviter une dangereuse ressemblance avec Racine ; l’autre,
Agnès de Méranie, tragédie, est encore le développement
d’un épisode du roman de mademoiselle de Lussan sur la
cour de Philippe-Auguste. Ces deux pièces furent représentées
avec de grands applaudissements par les comédiens français
sur le théâtre de madame de Montesson. Barbier lui attribue,
dans son Dictionnaire des anonymes, une traduction du Ministre de Wakefield,
Londres et Paris, Pissot, 1767, in-18
«
Madame de Montesson », par Louis-Gabriel Michaud
"Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique
de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration
de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers",
2e édition, 1843-1865
(1) Par un édit de Louis XIII, il est défendu à tous
les prélats du royaume de marier aucun prince du sang sans une
lettre écrite de la propre main du roi. Celle de Louis XV ne
contenait que ces mots : « Monsieur l’archevêque,
vous croirez ce que vous dira de ma part mon cousin, le duc d’Orléans,
et vous passerez outre. » Voy. La Correspondance de Grimm
(2) Son acte de décès porte : « Veuve en secondes
noces de Louis-Philippe d’Orléans.» |