Edmond Goldschmidt
Texte paru en janvier 1980 ©
par Jacqueline Millet, née Singer (arrière petite
fille de Louis-Amédée Mante)
Il faut rendre à César ce qui appartient à César.
Si je suis arrivée à faire connaître Mante, comme génial
inventeur de nouvelles techniques photographiques, c'est grâce à Edmond
Goldschmidt.
J'ai dit que c'est la rencontre de ces deux hommes si différents d'âge
et de milieux qui a permis la mise au point des Mantochromes; mais il faut
reconnaître aussi que sans les ravissants clichés de Goldschmidt
je ne seais jamais arrivée à intéresser les médias.
Qui aurait été passionné par la
photographie en couleur d'un vieil homme assis dernière un pot
de moutarde et un pot de géraniums ?
Par contre les "compositions" de Goldschmidt,
avec des modèles distingués, des décors de prix
et des accessoires raffinés ont tout de suite séduit les éditeurs.
Peu importait si les plaques étaient ou non antérieures à celles
de Lumière, elles étaient belles et on me demanda vite
de les reproduire.
La grande difficulté fut, pour moi, d'obtenir
que les reproductions soient datées et surtout que l'éditeur
stipule que l'on avait affaire à des Mantochromes.
Autant ce fut difficile
de recomposer la vie et l'œuvre
de Mante (mes recherches ont duré plusieurs années) autant
il m'est aisé de raconter mon oncle Edmond.
Alors que personne ne
sait ce qu'est devenue la seconde femme de Mante, Blanche a conservé pieusement tous les souvenirs
de son mari. Dans l'appartement même où il est mort j'ai
retrouvé ses comptes, sa correspondance, son testament et surtout
une quantité de photographies; aussi n'ai-je eu aucun mal à reconstituer
sa vie, paisible et heureuse au milieu de ses nombreux amis. Même
la guerre ne l'atteignit pas car il avait passé l'âge; je
n'ai trouvé dans tout le fouillis de papiers que j'ai trié que
des bons du Trésor et des millions de marks-papier dévalués.
Edmond, Benoît, Julien Golsdchmidt est né le
30 août 1863 à Neuilly-sur-Seine, fils de Salomon Goldschmidt
et de Mélanie Biedermann, 11 rue Saint-James.
De famille très fortunée (le père
est "propriétaire") il reçoit une solide instruction
anglo-française comme il était de mise à cette époque;
il va à Eton tout enfant et plus tard à Oxford.
Dandy esthète, il ménera joyeuse vie à Paris et dépensera
tant que son père lui imposera un conseil judiciaire.
Il se passionne pour la photographie et achète de nombreux appareils
au fur et à mesure que les perfectionnements sont inventés.
Il expose à la première Exposition Internationale
de Photographie et reçoit le médaille d'or. C'est à cette
occasion qu'il fait la connaissance de Louis-Amédée Mante.
Cette rencontre est décisive pour l'histoire de la photographie
car le rêve des deux hommes est de réaliser des clichés
en couleur, directement et rapidement. Mante a plein d'idées (c'est
surtout un chimiste et un inventeur) et Goldschmidt de gros moyens financiers
car son père préfère le voir installer des ateliers,
même dispendieux, plutôt que de voir fondre son patrimoine
aux courses.
Mante est grand-père, ses enfants ont tous quitté le
nid sauf sa dernière fille Blanche. Edmond tombe éperdument
amoureux d'elle et va la voir chaque soir à l'Opéra où elle
est danseuse. Louis-Amédée est encore premier contrebassiste à près
de soixante-dix ans mais, sa femme étant morte, il quite bientôt
l'Opéra et se consacre désormais à ses recherches.
En 1895 ou peut-être avant, Mante met au point un procédé extraordinaire
qui permet à Goldschmidt de réaliser des véritables tableaux
de maîtres à partir de plaques de verre enduites au préalable
par celui qui devenait son beau-père.
Déjà dans son traité paru en 1852, Louis-Amédée
Mante expliquait comment il fallait préparer les plaques afin de n'avoir
qu'à les exposer quelques secondes (l'idée de l'instantané).
Sa préoccupation d'alors était aussi la conservation des plaques
enduites deux et même trois mois avant leur emploi.
En 1895, c'est-à-dire plus de quarante ans après, il est arrivé à vaincre
toutes les difficultés, même les difficultés d'éclairage
car il y a longtemps que Mante sait fabriquer son électricité.
En 1878 n'avait-il pas inventé pour sa fille, ma grand-mère,
alors petit rat, un appareil électrique pour défatiguer ses jambes
par des courants vibratoires... Goldschmidt fait des frais considérables
pour faire peindre des décors par des grands peintres amis, achète
de nombreux accessoires et fait venir des modèles.
La merveilleuse réussite des premiers "MANTOCHROMES" suffit
au bonheur des deux hommes. Il ne vient pas à l'idée à Edmond
Goldschmidt de vendre ses tableaux, et encore moins à Mante de
commercialiser son invention : il n'a eu que des ennuis avec les précèdentes...
Quand Louis-Amédée Mante se retirera à Seine-Port avec
sa nouvelle épouse, Goldschmidt ira souvent voir son beau-père
et complice.
Blanche et Edmond ont
une belle automobile et c'est un plaisir de faire la route. Mante enseigne à un jeune photographe
de Seine-Port (M Barba) la technique des Mantochromes et continue d'en
préparer pour Edmond. En 1913 Mante meurt après avoir été renversé par
une automobile et ce sera la fin de la fructueuse collaboration photographique
Mante-Goldschmidt.
Edmond, désormais s'intéressera à la
stéréo : le Vérascope Richard. Il fut un mari attentif
et généreux qui rendit sa femme et même l'entourage
de sa femme, heureux jusqu'à sa mort en 1934. Dès 1906
il avait rédigé chez le notaire un extraordinaire testament
qui mettait ses belles-sœurs à jamais à l'abri du
besoin et même son grand ami qui n'avait pas encore réussi
sa vie politique : André Tardieu. Cette amitié dura jusqu'à sa
mort et l'on peut suivre les étapes de la vie de Tardieu rien
qu'avec les en-têtes des nombreuses lettres échangées
entre les deux amis. Leur amitié tint bon même pendant la
grande vague d'antisémitisme qui déferla sur la France
au moment de l'affaire Dreyfus. |